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narri   narri   narri
Les mots longs


Poemes 1950-1994

narri  narri

Traduction: Gabriel Rebourcet
Editeur: Gallimard (1997)
Collection: Poésie (No 307)
Nombre de pages: 207
ISBN: 2070329666


Les troubadours

Dans les arbres sur le boulevard, dans les tilleuls
le vent vaque l'après-midi, vaporeux.
Troubadours, beaux estropiés, accordez
vos guitares sous les portes cochères obscures
et chantez tristement de vos voix rauques:

Printemps, le printemps.
Dans ses yeux les lueurs du crépuscule,
dans ses yeux il y a la nuit,  la nuit.
Mais elle est loin,
elle a quitté ce lieu.
Sous ses pas la brume scintille,
chatoyante, le coeur chagrin, la brume.
Pendant les nuits noir-charbon du printemps précoce
l'attente est née, elle a mûri
jusqu'au songe et à la peur, la fatigue -
jusqu'au grand arc ployant de la flèche envolée.
Envie, regret de rêve, et rêve où brille l'étoile du regret.

Elle est loin, absente, elle est partie.
Dans l'ombre sous les tilleuls.
Il nous reste le regret , la nostalgie,
le souvenir de l'automne à venir et passé,
et des nuits qui s'éteignent dans le vide, chaleureuses.

Les troubadours sous les portes cochères,
les frères sous les tilleuls des boulevards,
sous leurs pas la brume scintille,
chatoyante.

(Un bouffon dans la gallerie des glaces - 1950)



Le poète François Villon...

Le poète François Villon ne s'est pas sans raison
dérobé à la mort. Elle est venue
emportant les poèmes qu'il avait laissés là,
prenant son corps aussi et son âme,
si elle les dénicha jamais.

Je mentionne par hasard un de ces défunts
( un tel qui vécut une vie de fou )
et le voici soudain assis en face de moi
pareil à lui-même avec ses yeux sa barbe ses cheveux
il parle il dit la vérité crue avec sa langue osseuse.

On ne vit pas en vain quand on laisse derrière soi
une tache sur une feuille, ou un nom dans l'histoire.
Tant d'autres se font traître ou assassin
et pourtant il n'en reste aucun souvenir
même pas dans le procès-verbal d’un tribunal.

Holà, grands gouvernants et autres brigands,
tyrans et tartuffes prêcheurs,
voilà comment les poètes se vengent
d’avoir à risquer leur vie
et leur chère liberté
en désignant chaque chose par son nom.
Les poètes sont, et nul ne saurait les faire
disparaître, pas même à force d'oubli.

(Cinquante deux - 1979)



Tamao est nu

Tamao est là, nu, debout il regarde les étoiles.
Maintenant il sait ce qu'est la solitude.
Ses doigts palpent sa verge,
il fait glisser le prépuce sur le gland
jusqu'à ce qu'il le sente dans ses doigts comme une prune mûre.
Dans l'ombre une main rassurante apparaît
qui caresse ses fesses et ses testicules.
Tamao se livre sans question, sans un souffle.
Il éjacule sa sève pâle dans la grande paume
et un instant plus tard il pleure, car tout est fini.
Si Dieu existait, il n'aurait pas disparu.

(La bannière jaune - 1988)



Le parfum de ta peau

La feuille de papier blanc et le parfum de ta peau
sont assez de matière pour un poème immortel.
La feuille de papier blanc, le parfum de ta peau
sans crier gare se dissipent dans le ciel.

(Traces de doigts dans le vide - 1991)