Traduction: Gabriel Rebourcet
Editeur: Atelier La Feugraie
Collection: Allure Du Chemin (l')
Nombre de pages: 96 pages
ISBN: 2905408561
LES MAINS
J’observe mes mains. Je les regarde
comme un miroir,
une carte de l’univers
- la crête des veines et les ornements
de l’épiderme, les poils, les ongles luisants.
Je dévale les adrets jusque dans la forêt sauvage,
je chemine depuis les savanes jusqu’aux rochers du rivage.
Ces derniers temps, de petites tavelures
m’ont rappelé que le temps s’écoule.
Vous avez donc fini par fleurir, leur dis-je pour les consoler.
Les longues soirées sont revenues. Merci, puisque vous me
laissez vous regarder. Ne bougez plus. Restons ainsi.
INSOMNIA
Les jours gris je les supporte bien, vraiment. Le ciel est au plus
bas, je sais le prévoir, et la distance qui me
sépare de ceux que j’aime est la même que
jusqu’en Océanie, à ces voûtes célestes, au
faîte de l’arc en ciel,
au temps même de la jeunesse, mais comme
son manteau pour celui qui se meurt de froid, ou sa planche
de salut pour le naufragé qui se noie, on a volé aux
insomniaques
la clé de la ténébreuse forteresse, dont les
hautes tours
découvrent tout le globe de la terre, même dans
l’obscurité,
quand notre planète sombre sous les cris de
souffrance. Il y a longtemps, très longtemps, une main
fraîche se posait sur ce front. Une voix disait : Dors !
Il y avait quelqu’un.
LE PREMIER SENS
Tu es incroyablement proche encore un instant,
tu es une illusion, une voix, un parfum presque.
Il manque seulement le toucher, le plus primitif de tous les sens,
mais celui précisément dont usa Dieu pour façonner
l’argile,
par qui le ver sait qu’il existe, celui qui porte la douleur
quand on torture ou quand on aime, par qui tu me manques
fuyant loin de mon être, la ligne tendre de ton aine,
et ta main rugueuse.
( Ecrit après une conversation téléphonique. )
Images naturelles - N° 1
Malade le renard se retire dans le tréfonds de son terrier. Sa
fourrure se détache comme une quenouille, poissée de
pluie, la mort se rapproche. Un haut pin veille sur l’éboulis de
rochers, dans l’aiguillée verte les bijoux perlés de la
pluie scintillent sur ce jour ultime. C’est une sorte de fête.
Une corneille lui rend visite, elle chantonne. Adieu, murmurent la
forêt et le monde alentour. Une âme se détache de sa
trousse de chair et crie en s’en allant: Pourquoi ? Pourquoi y a
t-il encore des étoiles ? Pourquoi faut-il tomber si bas ?
Images naturelles - N° 3
La feuille du pommier se détache petit à petit.
Inévitable destinée, depuis longtemps. L’arbre l’a
rejetée sans même lui dire merci. Jadis déjà
elle s’est extirpée de l’arbre toute seule, destin toujours
inévitable. L’arbre le voulait ainsi, la feuille est née,
sans le vouloir, elle a répondu d’elle-même, quand on lui
a commandé. L’arbre, quelqu’un. En ce temps-là, le monde
avait un autre parfum, la lumière ruisselait. Les nuits
échevelées viraient au jour, vint le temps des fleurs.
Les abeilles, puis les fruits verts. Un duvet tendre recouvrait encore
sa peau, avant que n’apparaissent les taches rouillées. Le temps
est passé de plus en plus vite, le temps fuyard. Aujourd’hui
donc il faut choir, ce soir elle tombe à terre. L’arbre ne
bronche pas, l’arbre demeure. Toute chose a un sens, et l’arbre le sait.
Images naturelles - N° 15
L’oiseau est un génial bouquet de plumes avec un peu de chair,
une fleur rouge dans le flanc, pleine de sang.
Le hérisson tourne la nuit dans le quartier comme un gendarme
affairé,
il en reste une tache en galette sur l’asphalte. Le chien dort
comme il dormirait au bord d’une route, l’âne fait de même,
les yeux solennels du chameau bougent encore,
et puis des douzaines de chats et des lapins. Des autos.
Les hommes ont des dieux, mais ils ne s’en servent pas.